"Nous sommes cinq frères et sœurs. Nous n'habitons pas la même ville, certains d'entre nous résident à l'étranger : et nous ne nous écrivons pas souvent. Il arrive, quand nous nous rencontrons, que nous nous montrions, les uns envers les autres, indifférents ou distraits. Mais il suffit, entre nous, d'un mot. Il suffit d'un mot, d'une phrase : une de ces phrases maintes fois entendues et répétées dans notre enfance. Il nous suffit de dire " Nous ne sommes pas venus à Bergame pour rigoler" ou " De quoi qu' ça pue l'acide sulfurique pour retrouver tout à coup nos anciens rapports, notre enfance et notre jeunesse, indissolublement liées à ces phrases, à ces paroles.
L'une quelconque de ces phrases ou de ces paroles nous permettrait
de nous reconnaître dans l'obscurité d'une grotte, au milieu de
milliers et de milliers de personnes. Ces phrases sont notre latin
même, le vocabulaire de nos jours passés, elles sont comme les
hiéroglyphes des Égyptiens ou des Assyro-babyloniens, le témoignage
d'un noyau vital qui a cessé d'être mais survit dans les textes,
sauvés de la fureur des eaux et de la corrosion du temps. Ces
phrases constituent le fondement de notre unité, un unité qui
subsistera jusqu'à notre mort, qui se recréera et ressuscitera dans
les endroits les plus divers de la terre quand l'un de nous dira :
-Illustre monsieur Lipmann, et que, sur le champ résonnera à notre oreille la voix impatientée de mon père :
- Finissez-en avec cette histoire, je l'ai entendue des centaines de fois".
-Illustre monsieur Lipmann, et que, sur le champ résonnera à notre oreille la voix impatientée de mon père :
- Finissez-en avec cette histoire, je l'ai entendue des centaines de fois".
Natalia Ginzburg. Les mots de la tribu. tr. Michèle Causse, carnets rouges Grasset.
Lessico famigliare, Einaudi, 1966.
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