jeudi 6 décembre 2012

Wuthering Heights


A propos des Hauts de Hurlevent de Andrea Arnold

"Comme le dit très bien Peter Bradshaw dans sa critique dans le Guardian, Andrea Arnold réussit à créer l’étrange illusion qu’elle ne vient pas après le livre mais avant lui, le film nous précipitant, tête la première, dans «une série d’événements crus, à demi-articulés et que le roman plus tard aurait poli et raffiné en joyau littéraire»."

Didier Péron,  Libération, 4 décembre 2012


"In the most extraordinary way, Arnold achieves a kind of pre-literary reality effect. Her film is not presented as another layer of interpretation, superimposed on a classic's frills and those of all the other remembered versions, but an attempt to create something that might have existed before the book, something on which the book might have been based, a raw semi-articulate series of events, later polished and refined as a literary gemstone. That is an illusion, of course, but a convincing and thrilling one."

Peter Bradshaw. The Guardian. 10 novembre 2011

mardi 4 décembre 2012

Désarçonné



"Cette recordation que j'en ai fort empreinte en mon âme, me représentant son visage et son idée si près du naturel, me concilie aucunement à elle. Quand je commençai à y voir, ce fut d'une vue si trouble, si faible et si morte, que je ne discernais encore rien que la lumière... Quant aux fonctions de l'âme, elles naissaient avec même progrès que celles du corps. Je me vis tout sanglant, car mon pourpoint était taché partout du sang que j'avais rendu. La première pensée qui me vint, ce fut que j'avais une arquebuse en la tête : de vrai, en même temps, il s'en tirait plusieurs autour de nous. Il me semblait que ma vie ne me tenait plus qu'au bout des lèvres : je fermais les yeux pour aider, ce me semblait, à la pousser hors, et prenais plaisir à m'alanguir et à me laisser aller. C'était une imagination qui ne faisait que nager superficiellement en mon âme, aussi tendre et aussi faible que tout le reste, mais à la vérité non seulement exempte de déplaisir, ains mêlée à cette douceur que sentent ceux qui se laissent glisser au sommeil. [...]
 
Mon assiette était à la vérité très douce et paisible ; je n'avais d'affliction ni pour autrui ni pour moi : c'était langueur et une extrême faiblesse, sans aucune douleur. Je vis ma maison sans la reconnaître. Quand on m'eût couché, je sentis une infinie douceur à ce repos, car j'avais été vilainement tirassé par ces pauvres gens, qui avaient pris la peine de me porter sur leurs bras par un long et très mauvais chemin, et s'y étaient lassés deux ou trois fois les uns après les autres. On me présenta force remèdes, de quoi je n'en reçus aucun, tenant pour certain que j'étais blessé à mort par la tête. C'eût été sans mentir une mort bien heureuse, car la faiblesse de mon discours me gardait d'en rien juger, et celle du corps d'en rien sentir. Je me laissais couler si doucement et d'une façon si douce et si aisée que je ne sens guère autre action moins pesante que celle-là était. [...]
 
Ce conte d'un événement si léger est assez vain, n'était l'instruction que j'en ai tirée pour moi : car, à la vérité, pour s'apprivoiser à la mort, je trouve qu'il n'y a que de s'en avoisiner."
 
 
 
 
                                                                                                                                 Montaigne, Essais, II, 6